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L'hybridation électro-hydrogène - comment ça marche ?

L’hybridation électro-hydrogène est au cœur du système de propulsion de The New Era d’Hynova Yachts, le premier « dayboat » équipé d’un REXH2® fonctionnant à l’hydrogène et actuellement en phase d’homologation. EODev s'est entretenu avec Frédéric Ménière, Président de EVE System, Chloé Zaied, Directrice Générale d'Hynova Yachts, et Romain Jallon, Directeur des Opérations chez EODev, pour expliquer le fonctionnement d’un tel système qui ouvre la voie à une mobilité maritime décarbonée.

EODev : Pouvez-vous expliquer comment fonctionne la propulsion de The New Era ? En quoi est-ce différent d’un bateau similaire qui tournerait uniquement au diesel ou à l'essence, ou en mode diesel-électrique ?

Romain Jallon (RJ) : Les moteurs électriques de l'HYNOVA sont alimentés par une source d'énergie hybride : d'un côté une pile à combustible de type PEMFC (Proton Exchange Membrane Fuel Cell) et de l'autre des batteries (LiFePO4). L’hydrogène est stocké dans des réservoirs en fibre de carbone, sous une pression de 350 bars. Les avantages par rapport aux autres options sont les mêmes que l'on retrouve à bord du bateau Energy Observer : zéro émissions (ni CO2 ou particules fines), silencieux, et une plus grande densité de puissance et d’énergie qu’avec une solution tout batterie.

Frédéric Ménière (FME ) : La pile à combustible fournit la puissance moyenne nécessaire à la propulsion du navire, et les batteries vont fournir les pointes de puissance. Cela permet d’avoir une puissance intermittente aux hélices de 300 kW avec une pile à combustible de 60 kW. Le rendement global s’en trouve amélioré car la pile fonctionne ainsi sur son point de fonctionnement optimal, avec 60 % de rendement. Si l’on compare à une motorisation Diesel, le rendement global est de l’ordre de 30 %, avec des pertes en chaleur double. De plus, le diesel doit être dimensionné pour la puissance maximum crête. La solution hydride hydrogène permet, comme un véhicule PHEV (Plug’in Hybrid Electric Vehicle), de faire des services courts en 100% électrique sur batterie, et des services longs avec l’apport énergétique de l’hydrogène.

Chloé Zaied (CZ) : Ce bateau va naviguer sans bruit, sans vibrations, sans polluer l’eau, l’air, ni perturber les écosystèmes marins. On risque même de trouver les hélices bruyantes, ce qui est une expérience surprenante.

EODev : Comment fonctionne l'hybridation hydrogène-batteries et pourquoi avoir choisi ce dimensionnement : une pile à combustible avec trois batteries ?

RJ : La pile à combustible et les batteries sont connectées en parallèle sur le réseau de tension alimentant les moteurs. La pile à combustible ne peut que fournir de la puissance alors que la batterie peut en fournir aux moteurs ou en recevoir de la pile. Les batteries ont pour rôle de répondre aux appels de puissance des moteurs, pour palier au temps de réponse relativement faible de la pile et lui fournir la puissance supplémentaire pour atteindre la vitesse maximale du bateau. Concernant le second point, la pile est dimensionnée pour faire avancer le bateau sur sa vitesse nominale, donc de croisière. Les pics de vitesse, d’une durée relativement courte, sont assurée par les deux sources ensemble. Dimensionner la pile à combustible sur la puissance maximale réduirait la compacité de la chaine de propulsion. Un algorithme de gestion de l’hybridation a donc été développé pour optimiser le fonctionnement de l'ensemble du système.

FME : La pile à combustible est dimensionnée vis-à-vis de la puissance moyenne nécessaire sur l’exploitation du navire. Sur HYNOVA, nous sommes sur 80 kW. Les batteries sont dimensionnées en fonction de la puissance maximum intermittente ou en énergie en fonction de l’autonomie sur batteries souhaitée. Bien sûr le poids, l’encombrement et le prix constituent une limite qui peut amener à reconsidérer les besoins en puissance et en énergie. Sur The New Era, nous sommes sur 250kW en puissance batterie et 132kWh en énergie. Mais toutes les configurations sont possibles en fonction du profil d'utilisation.

EODev : Est-ce qu'on peut dès lors dire que, si on compare avec une solution hybride "classique" qui comprend moteur thermique, générateur et batteries, l'hydrogène remplace le gasoil, et la pile à combustible le moteur thermique ?

RJ: Presque. Le gasoil est la source d’énergie, le moteur thermique transforme l’énergie chimique du gasoil en énergie mécanique. L’hydrogène est la source d’énergie, la PAC transforme l’énergie chimique de l’hydrogène en énergie électrique, le moteur électrique transforme l’énergie électrique en énergie mécanique. Donc je dirais que le gasoil est remplacé par de l’hydrogène et une pile à combustible, et le moteur thermique remplacé par un moteur électrique.

FME : Pour ajouter une précision, il faut noter que l’hydrogène n’est pas une source d’énergie fossile comme le gasoil, mais un vecteur énergétique. Du point de vue de l’utilisateur du bateau, l’hydrogène remplace le gasoil, mais d’un point de vue macro-économique, c’est l'ensemble « réseau électrique + hydrogène » qui remplace le gasoil.

EODev : Quelle technologie de batteries est utilisée à bord d’HYNOVA, et comment se différencie-t-elle des autres batteries (pour les voitures par exemple) ?

RJ : Les batteries conçues par EVE System utilisent la technologie Lithium-Fer-Phosphate. Moins dense que la techno Lithium NMC utilisée dans les voitures mais bien plus à l’abri des emballements thermiques menant à des feux de batteries impossibles à éteindre. Dans les discussions que l’on a avec Bureau Veritas sur la certification d’un bateau à hydrogène, ils nous déconseillent l’utilisation des batteries NMC qu’ils ne certifient pas pour le moment.

FME : Les différentes familles de batterie lithium sont listées ci-dessous (voir schéma). Tout est affaire de compromis. L’automobile utilise le NCA (Tesla) et le NMC (tous les autres). Dans l’industrie, et notamment les bateaux, on retrouve le LTO et le LFP pour leur sécurité. Le LFP est plus énergétique que le LTO. Le LTO est fait pour du grand cyclage, de la charge rapide, mais peu d’autonomie — il est cher et lourd. Sur HYNOVA, on est sur du LFP, comme sur les principaux bateaux de travail électriques ou hybrides qui naviguent en France. C’est une bonne solution pour allier sécurité, performance et durée de vie.

EODEV : Pouvez-vous nous expliquer la "marinisation" des composants (batteries et PAC) et pourquoi c'est important ?

RJ : La « marinisation » consiste d'abord à doter les équipements d’une protection pour s’adapter à l’environnement marin. L’exposition à l’air salin, aux embruns, mène à une corrosion précoce des pièces métalliques, des fils et connecteurs électriques. Il s’agit donc de privilégier les équipements en inox 316L, de s'assurer de la compatibilité des matériaux pour éviter les couples électrolytiques, de poser du vernis sur les parties métalliques, une pate en silicone sur les connecteurs électriques non protégés, de dimensionner et développer des filtres à air sur mesure pour se protéger de particules type soufre qu’on peut trouver dans l’air marin, et d'optimiser le poids et les dimensions pour une intégration facile. Il s'agit également de gérer la sécurité autour de l’utilisation de l’hydrogène sur un navire dont les conditions d'utilisation et les risques inhérents à une activité en mer sont plus contraignantes que sur un véhicule terrestre. Il y est ainsi question de redondance des systèmes de sécurité, et de capacité du navire à pouvoir rejoindre un abri côtier même en cas de panne de tel ou tel composant du système de propulsion. C'est assez similaire aux principes appliqués dans les avions, pour les mêmes raisons. S'il y a un souci, on ne peut pas simplement laisser son véhicule sur le bas-côté de la route et poursuivre à pied.

FME : Le marché des bateaux de travail impose, en fonction de leur taille, de se conformer aux règles de certification marine des installations. Cela passe par des « approbations de type » sur les composants, et des revues de conception plus ou moins poussée par les organismes certificateurs. Cette "certification de type" concerne tous les organes de sécurité du navire, comme les moteurs, les arbres, les hélices, les réducteurs, les variateurs, les batteries, les commandes de gaz, les disjoncteurs, les câbles, etc. C’est presque sans fin ! Concernant la pile à combustible, il est possible qu’elle ne figure pas dans la liste des composants de sécurité si les batteries sont suffisamment importantes et redondantes. La certification marine des batteries consiste à répondre à des tests environnementaux particuliers (vibration, chaleur humide, chaleur sèche), des tests fonctionnels, des tests normalisés de performances (IEC 62619 et IEC62620). Par rapport aux normes industrielles classiques, le niveau de tenue aux vibrations est supérieur, et le test de chaleur humide est drastique. Par ailleurs, dans les HYNOVA, les réservoirs sont en extérieur, même si les designers ont fait un beau travail pour donner l’impression qu’il n’y a pas de bonbonnes sur le bateau. Cela garantit que l’hydrogène ne sera pas confiné en cas de fuite. La PAC est par contre dans un compartiment. Dans ce compartiment, il n’est pas possible de mettre un équipement sous tension avant que l’automate de sécurité hydrogène n'ait vérifié l’absence d’hydrogène. En cas d'incendie, des lignes d’évents permettent l’évacuation rapide de l’hydrogène des réservoirs: en 30 secondes l’hydrogène est évacué, rendant le bateau beaucoup plus sûr qu’un bateau au gasoil dont le carburant ne peut être évacué.

EODev : On entend beaucoup parler de la problématique de la "recyclabilité" des batteries et de l'utilisation de matériaux rares nécessaires à leur fabrication. Que répondez-vous sur ces points ?

FME : La plupart des matériaux ne sont pas si rare que ça, pas si polluant non plus, surtout pour la chimie LFP. Du lithium, du phosphate de Fer, de l’aluminium, du cuivre. Pas de Nickel, pas de Cobalt, pas de manganèse, pas de plomb, pas de cadmium, pas de métaux lourds, pas de colles, pas de fluide de refroidissement, pas de résines... De plus, la filière de recyclage se met en place. Aujourd’hui, elle existe à des niveaux préindustriels, mais le coût du recyclage est déjà très bas (1€/kg) et va continuer de baisser avec l’augmentation des volumes. Le recyclage permet de récupérer les métaux pour les réutiliser. Les batteries HYNOVA sont totalement démontables, et leur recyclage permet de trier en amont les composants pour soit les réutiliser, soit diminuer le coût de traitement.

CZ : HYNOVA a bien conscience de l’empreinte carbone d’une batterie LiFePo. Grâce à l’intégration de foils, une économie d’énergie de 25% sera possible en conservant la performance du bateau et cela permettra l’«économie» d’une batterie supplémentaire représentant 2.922 kg de CO2 dans l’Analyse de son Cycle de Vie.